L’amitié […] est ce qu’il y a de plus nécessaire pour vivre. Car sans amis, personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres biens.
Aristote, Ethique à Nicomaque.
Bonjour à toi, qui ne viens pas au théâtre. C’est à toi plus particulièrement que je souhaite m’adresser pour ouvrir cette saison. Permets-moi d’abord de te tutoyer. Ce tutoiement est une invitation, rien de plus. Une invitation chaleureuse au dialogue, à la rencontre, à l’amitié. Cette amitié qui a poussé certains à descendre dans la rue en janvier dernier pour essayer de vivre ensemble, même si nous n’avons pas la même lecture du monde. Une invitation à fréquenter notre théâtre, cet espace public ouvert à tous. Une invitation à se découvrir mutuellement.
Bonjour à toi, qui ne nous connais pas. Parce que l’occasion ne s’est pas encore présentée. Parce que tu penses que le théâtre n’est pas pour toi : trop pressé pour rester assis ; trop occupé pour te poser une heure ou deux parmi des inconnus ; trop moderne pour goûter cet archaïsme; trop conventionnel pour découvrir le théâtre d’aujourd’hui ; trop connecté pour apprécier cet art issu du grenier de l’enfance ; trop léger pour être sérieux ; trop sérieux pour rire en ces temps d’inquiétude…
Tu penses des choses, tu les dis. Je les entends et je crois que ce qui se passe ici, au NEST, pourrait t’intéresser.
Parce qu’ici, on est à la fois grave, léger, sérieux, enfantin, connecté, simple, complexe, archaïque, moderne, et surtout vivant.
Parce qu’ici, grâce aux histoires sensibles qu’on joue, aux personnages qu’on incarne, on est tout ça, et bien plus :
On est l’homme en quête de lui-même, celui qui traverse les âges de la vie et l’espace, pour comprendre ce qu’il va devenir (A la renverse) ; ou celui qui revient sur les lieux de son enfance, après des années d’exil, pour savoir ce qu’il est devenu (Retour au désert et Retour à Reims, Dans ma chambre, La cerisaie). On est celui qui éprouvent la destruction de l’amour (Werther !); celui qui, blessé d’amour, trouve sa dignité (Quand j’étais Charles); ou ceux qui arrivent à s’aimer malgré la société (Quelque chose de possible). On est ceux qui, pour que l’amour advienne, défient le pouvoir (Angelo); ou qui le prennent pour installer une terrible dictature (Les époux). On est ce héro qui tente en vain d’incarner tous les désirs individuels (Héro%), ou ces enfants qui échappent à la destruction barbare du Ghetto de Varsovie (Ceux qui restent). On est tous ceux dont la petite histoire se mêle à la grande. On est la foule grouillante de l’humanité contradictoire.
Alors es-tu bien sûr qu’on n’est pas une part de toi-même. Et que cela ne te concerne pas?
Jean Boillot