En 2007, un animal étrange est apparu dans notre Grande Région. Majestueux, vif, grand, sauvage avec un arbre sur la tête, c’est un cerf bleu. Il circule librement parmi les forêts, les champs, les villes et villages, par-dessus les murs, à travers les rivières. Il s’est déjà montré au NEST, je crois qu’il s’y sent bien.
Peut-être un jour a-t-il surgi devant vous ? Peut-être s’est-il éclipsé abruptement, s’enfonçant dans un fourré qui vous paraissait infran- chissable, inventant ainsi un chemin inattendu ? Car c’est cela qu’il aime au fond, cet animal fantasque : trouver des voies là où il n’y en a pas, dépasser les limites des états, des cultures, des langues… de l’animalité ou de l’humanité.
Peut-être, ce faisant, le cerf vous a-t-il invité à suivre sa trace, ou bien mieux, à créer la vôtre ? Alors vous avez ri. Chacun a son cri devant l’inconnu : lui, le brame, vous, le rire.
À l’occasion de mon second mandat de directeur, le NEST s’affirme transfrontalier et européen. La saison 14/15 invite de nombreux artistes de la Grande Région. Le Festival TTT présentera dans 3 villes (Luxembourg, Trèves et Thionville) 12 spectacles remarquables créés sur le territoire. De « grands bois », des artistes de référence seront aussi avec nous : l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat ou l’acteur de théâtre et de cinéma italien, récemment primé aux Oscars, Toni Servillo.
Le rire sera très présent. Il apparaîtra par la satire (Que d’espoir !) ou le grotesque (Yvonne), la comédie dramatique et amoureuse à rebondissements (Place Royale), en passant par la comédie napolitaine absurde et onirique (Le voci di dentro). On le retrouvera aussi dans les vaudevilles cauchemardesques de Labiche avec Animal(s) que je créerai en janvier : le rire qui décape ou le rire qui touche. Le sourire grinçant de l’humanité face à nos « petits » défauts, celui qui interroge notre capacité à vivre ensemble, celui qui cherche l’énergie d’aller de l’avant dans la caricature dénonciatrice, celui qui nous rappelle innocemment à l’ordre.
La saison 14/15 fera la part belle à la jeunesse, celle qui apprend à se dompter, ou qui s’y refuse : temps des angoisses de l’enfance (Cendrillon), temps du passage à l’adolescence (La Pluie d’été), temps de remises en mouvement, de mues (J’habitais une maison…). Notre 5e concours d’écriture pour les adolescents, Iroquois, ouvrira la toute nouvelle Semaine extra, un temps théâtral réalisé par et pour les jeunes en collaboration avec Cécile Arthus, artiste associée au NEST pour la jeunesse.
On raconte que de grands prédateurs sont de retour : le loup, grand arpenteur de territoire, qui aime le gain et la performance. Et puis une autre bête plus sombre, plus insidieuse, qui aime les murs, et le repli sur soi. Chacun menace notre cerf. Affirmons ensemble notre attachement à la scène publique, cet espace de rencontre et de liberté, pour sonder notre humanité et ses limites. Tous, citoyens attentifs à notre devenir collectif, soyons au NEST.
Jean Boillot